La cartographie en médiation des sens
texte de Romain Moussy, 12 septembre 2020
L’exercice
Se déplacer dans l’espace, récolter ses impressions et archiver ses expériences en retraçant l’itinéraire parcouru et en cherchant à les signifier en vue de les partager ; voilà un exercice proposé dans le cadre des enquêtes par corps.
Il aboutit à la réalisation de cartes aux échelles et légendes personnelles…
L’objet
Comment créer un support permettant d’accorder nos représentations et les faire converser dans un référentiel commun ?
Trois pistes ont été dégagées :
– Produire un fond de carte suffisamment large pour inclure le cheminement de chaque participant.
– Utiliser des calques pour superposer à ce fond de carte la représentation d’expériences, d’études, d’enquêtes, et d’en observer les possibles convergences.
– Partir en quête d’une légende commune qui permettrait de s’entendre…
Les productions
Ces pistes nous ont menés à la création de deux grandes cartes qui ont été support à la restitution de nos expériences intérieures. L’une, abstraite, que nous avons qualifié d’imaginale et l’autre, représentative.
La carte imaginale
Au troisième jour de nos pérégrinations, nous avons éprouvé le besoin de faire une pause, de nous restaurer avant de nous mettre à l’œuvre de retranscrire les impressions que nous avions cumulées la veille sur le territoire des Galonnières.
Sortis du lieu et après un repas partagé, a émergé l’idée de faire un dessin collectif.
Rouleau de papier déroulé, craie et couleurs étalées, chacun s’est mis à table selon son intention, qui mu par un besoin irrépressible de dessiner, qui par volonté d’exprimer un ressenti, qui par jeu et désir de participer…
À l’écoute de la nature ensoleillée qui nous entourait, rythmant la danse de nos corps dessinant par des sons et des champs ; nécessairement privés de la maîtrise du sens de nos traits par le partage de l’espace commun ; nous avons été conduits par l’harmonie du moment à cette réalisation.
Après coup, nous nous sommes aperçu que cette carte pouvait servir de support à la retranscription verbale des expériences glanées aux Galonnières.
J’ai voulu signifier par de grandes lignes droites les lignes électriques qui parcourent la colline et impactent à mon sens nos ressentis. Avec le recul, je peux imaginer que ce dessin est une carte du ciel dont on verrait les fils par en dessous et dont l’exégèse des nuages flottants nous permettrait de dire nos vécus intérieurs, imaginaires, imaginaux.
La carte représentative
Galvanisés par le partage de ces instants de grâce…
Nous nous sommes attelés à la tache de rendre objectivable ce qui ne le sera jamais.
Pour la réalisation du fond de carte et malgré le soin donné aux calculs et à la précision des tracés, je me suis rendu compte que des erreurs d’approximation et d’interprétation se glissaient dans le dessin et que c’était déjà le cas sur les divers plans et cartes IGN utilisés comme références. Ainsi, par copies successives et ajouts ou rectifications temporels, le territoire décrit évolue.
L’édification de la légende commune a donné lieu à des débats soutenus quant à la représentation symbolique et l’évaluation qualitative et quantitative des perceptions sensorielles… Compromis étant trouvés nous sommes convenus de la nécessité de conserver des cases blanches pour rendre l’outil adaptable dans le cadre de possible réitération de l’expérience…
La mise en couleurs du premier calque a été réalisée dans l’élan final de nos rencontres une heure avant et pendant la restitution publique de ce notre travail dans le jardin de Hugh attenant au foyer Michaël… On peut y retrouver : des itinéraires parcourus, des lieux de rencontre, des ressentis de picotement, de nausée, de bien être, d’attraction, de répulsion, etc.
Échecs et Victoires
La première réaction que j’ai entendu au dévoilement de ces deux cartes, c’est : « Wahoo ! » et je juste après « C’est tout ? C’est ça la représentation du monde ? »…
En effet, le fond de carte centré sur le territoire de La Mhotte ne peut pas inclure le cheminement intérieur des participants car nous venons de tous temps des quatre horizons du monde et peut-être d’au-delà…
Quelques jours après cette première restitution, nous sommes retournés sur les lieux que nous avions décrits pour rapidement nous apercevoir que les émotions et sensations que nous avions collectées et archivées sur calque avaient majoritairement disparues.
On peut imaginer que la reproduction massive de cette expérience et la superposition de leurs calques associés engendrerait rapidement une opacification des sens et les informations amoncelées seraient inexploitables.
La légende commune quant à elle est une chimère qui à l’image de la rencontre entre la Sphinge et d’Œdipe vient nous questionner sur ce qui anime notre intériorité et fait sens de nos vies.
L’élaboration symbolique à laquelle nous nous sommes astreints en quête d’objectivité n’est qu’une récolte de sens riche de lointains ensemencements pour la pluparts inconscients…
Qu’avons-nous vécu alors ?
Quelques pas partagés sur un chemin mitoyen qui va du bout au bout du monde…
Des moments d’écoute pour se dire et se découvrir des destinées communes, divergentes et complémentaires…
Des réponses personnelles à des problématiques communes… Et inversement.
Perceptives
Ce travail, cette méthode, ces cartographies ont fait œuvre de médiations dans bien des sens pour les protagonistes comme pour les récipiendaires…
Cette démarche est tout à fait opérante et applicable à d’autres territoires… À mon sens, elle panse bien des blessures Immémorielles…