Les communs : la construction du commun en tant que processus

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Notre travail collectif initié par le Laboratoire d’Écologie Pirate rend compte d’une dynamique d’identification des communs sur un territoire. Mais qu’est-ce que sont ces communs ? Ce court texte rend compte de quelques principes qui guident la production de communs.

Selon Sheila R. Foster et Christian Iaione, « Ostrom in the City: Design Principles and Practices for the Urban Commons forthcoming », in Dan Cole, Blake Hudson, Jonathan Rosenbloom (eds.) The Routledge Handbook of the Study of the Commons : « La caractéristique fondamentale qui distingue les biens communs des non communs est le partage institutionnalisé des ressources entre les membres d’une communauté. » (Madison, Frischmann et Strandburg 2014, 2). En tant que tel, il n’est pas surprenant de voir l’émergence de «nouveaux» communs – ou ressources communes non traditionnelles – tels que les biens communs du savoir, les biens communs culturels, les biens communs d’infrastructure, les biens communs de quartier, entre autres. (Hess 2008). Ces nouveaux communs cherchent à fournir une alternative au binaire privé-public (gouvernement) des solutions de gouvernance. Ces nouveaux types de biens communs mettent l’accent sur « les communautés qui travaillent ensemble de manière autonome pour protéger les ressources de l’enfermement ou pour créer de nouvelles ressources partagées» (Hess 2008, 40). 

La construction en bien communs des différentes dimensions de nos existences, qu’il s’agisse des formes d’échanges ou encore des formes environnementales, tels les rivières, les jardins, les forêts, le ciel… nécessaires à nos existences, exige des possibilités d’accord collectif sur des mode de gestion en commun dans l’optique d’une vision partagée. La production de ces communs contribue à l’espace public, c’est à dire initie des formes citoyennes d’appropriation de l’espace public, qui constitue des résistances et propose des alternatives à la marchandisation et à la libéralisation de l’espace public.

Dès lors, plutôt que de débattre de l’espace public, cette expression qui renvoie aussi bien à un espace de débats, -entre transparence de la communication entre groupes à partir notamment d’un fond commun culturel[1] et confrontation agonistique[2]-, et à un espace concret ressortant d’une morphologie de l’habitat, nous voulons discuter ici d’environnement public.

Il s’agit de ce qui nous environne, donc d’un espace matériel constitué de formes environnementales, tels les parcs et jardins, les fleuves, les rues, mais aussi les récits sur l’environnement, ou encore les ambiances prêtées aux lieux, entre le sens et les sens, incluant de l’air, de l’eau, de la terre et des organismes vivants, c’est-à-dire de dimensions socio-naturelles qui caractérisent la capacité que nous avons d’y vivre et de nous y reproduire et qui relèvent souvent du régime des biens publics (par exemple, la qualité de l’air) ou des biens communs (par exemple, la biodiversité selon les échelles[3])[4].

Un environnement public, dès lors, est un environnement qui participe au bien-être collectif, remplit un besoin d’intérêt général, contribuant au service public. L’emploi de l’expression d’environnement public peut enrichir la notion d’espace public en conférant une dimension socio-matérielle à l’espace de débats qui qualifie une problématique environnementale dans les médias et les arènes de discussion. C’est, enfin, un ensemble de dimensions qui caractérisent concrètement ce qui nous environne et auquel nos activités quotidiennes contribuent de manière plus ou moins active et intentionnelle. Conceptualisant les services proposés par le tissu associatif dans l’espace public (lien social, air de qualité, eau de qualité, espaces collectifs de jardinage et de jeu…) en biens communs, le but est de parvenir à construire les dimensions d’un environnement public de qualité sur le mode d’une ressource durable. Cette logique analytique participe d’un mouvement de critique des régimes politiques néolibéraux et vise à se réapproprier le contrôle politique du développement urbain et de promouvoir un accès riche et attentif aux dimensions organiques des espaces urbains[5]. Le philosophe français Henri Lefebvre a mis en exergue dans l’ouvrage Le droit à la ville (1968-1972) la nécessaire réappropriation des modes d’habiter urbain. Cependant, il est évident, selon les cultures politiques, que les droits d’accès à la décision publique ou à la transformation directe des espaces publics sont inégalement partagés. Le mouvement des communs participe de cette réflexion sur les espaces publics contre la privatisation de ces mêmes espaces et l’individualisation des habitants comme consommateurs ou clients des services urbains.


[1] Jürgen Habermas, « L’espace public, 30 ans après », Quaderni, n°18 « Les espaces publics », 1992, p. 161- 191.

[2] Chantal Mouffe, « Artistic Activism and Agonistic Spaces », Art and Research. A journal of ideas, contexts and methods, vol. 1, n°2, 2007, (http://www.artandresearch.org.uk/v1n2/mouffe.html).

[3] Daniel Compagnon, « La biodiversité, entre appropriation privée, revendications de souveraineté et coopération internationale », Développement durable et territoires, 2008, (http://developpementdurable.revues.org/5253).

[4] Un bien commun est une ressource dont il est difficile d’exclure l’accès à des bénéficiaires potentiels et, cependant, dont l’(a) (sur)exploitation fait diminuer la quantité et la qualité empêchant éventuellement d’autres personnes d’en profiter (bien rival et bien non excluable) à la différence d’un bien public dont l’usage par une personne n’empêche pas une autre personne (bien non rival et non excluable). Il s’agit, dès lors, de veiller au design des institutions qui permettront l’usage durable de la ressource. Voir Elinor Ostrom, Governing the Commons : The evolution of institutions for collective action, New York, Cambridge University Press, 1990.

[5] Nathalie Blanc, « Éthique et esthétique de l’environnement », EspacesTemps.net, 2008, (http://espacestemps.net/document4102.html).