Ici, n’importe qui vous le dira : le gui est une « maladie » de l’arbre, un parasite et il doit être éradiqué. Il se nourrit de son hôte et le tue.
Ici, n’importe quel médecin vous le dira : les parasites dans le corps humain doivent être éradiqués. Ils se nourrissent de leur hôte et le tuent.
Dans la plaine de la Limagne, au milieu des champs de Limagrain pulvérisés au Glysphosate et le long des rivières devenues toxiques, le projet de domination naturaliste sur la nature est presque parfaitement accompli : on éradique à grande échelle les nuisibles, insectes, parasites, microbes, mauvaises herbes, renards, sangliers, et l’on se soigne aux antibiotiques.
Mais le monde analogiste et/ou animiste qui précédait, dans lequel on se soigne avec les plantes et la lune, dans lequel on parle aux animaux et aux esprits, ce monde résiste toujours, et se recréé, chaque jour un peu plus. Les parasites, êtres vivants végétaux, animaux, mycosiques, ou bactériens, ont une place particulière dans ces espaces, où s’entrecroisent et se superposent ces deux mondes, le moderne, totalement déployé, et le monde sous-terrain qui lui a résisté et qui à la faveur de la crise écologique, refait doucement surface. Le parasite cristallise à lui seul, la question de la cohabitation harmonieuse et pacifique entre les humains et les non-humains : chez les modernes, on l’éradique, en détruisant tout autour. Et en prenant le risque qu’il revienne sans cesse, encore plus fort. Et en devant donc créer des techniques d’éradication toujours plus efficaces. La logique de destruction est une spirale interminable. On le sait, mais il n’y a pas d’autres solutions, disent-ils.
Comment les non-modernes auvergnats, perçoivent et vivent dans leurs corps, dans leurs jardins ou sur leurs arbres, avec les parasites ? Deux enquêtes, une bien avancée, et une qui débute, donnent des pistes, sur ces pratiques « indigènes » tout à fait présentes sur notre territoire de moderne, et bien conscientes de proposer des issues de secours à la crise écologique.
D’un côté, l’enquête menée sur les méthodes de guérison analogistes et animistes des parasites intestinaux des corps humains et animaux, de l’autre, celle qui débute sur le gui, parasite bien connu des pommiers et des acacias, entre autres.
Dans les deux cas, il est établi que le parasite ne s’invite pas sans raison, et donc, sans comprendre et effectuer des changements en lien avec cette raison première, aucun traitement n’a d’efficacité. On parle de traitement car il est aussi admis chez les analogistes-animistes d’ici que les parasites posent problème : ils font vomir, fatiguent, fragilisent l’humain ou l’animal, ils font mourir les arbres, aussi. Il faut donc traiter, soigner, agir, c’est un fait.
Mais la rationalité dans leur démarche est pensée comme devant être totale : éradiquer chimiquement n’a aucune efficacité réelle, car la guérison n’est alors ni durable, ni complète. Cela ne dure pas car le parasite revient inexorablement tant qu’il n’a pas finit d’effectuer son « travail » : plus on l’éradique et plus on l’empêche de le faire. Et la guérison n’est pas complète non plus car cette action salutaire du parasite est empêchée, et donc la cause non réglée se reporte et affecte d’autres couches du vivant, visibles ou non, d’autres êtres, visibles ou non, humains ou non.
Les parasites du corps humain doivent donc être compris pour pouvoir être « traités » : il faut négocier leur départ. Pour cela, il faut savoir ce qu’ils gagnent à partir, comprendre pourquoi ils se sont installés et donc les aimer pour pouvoir leur parler…
C’est d’abord la question de la place qu’on leur laisse qui est centrale ici : si ils s’installent, c’est qu’ils ont l’espace pour le faire. Cet espace, est un espace à la fois dans la matière du corps et à la fois dans l’invisible de l’être, c’est un même espace, mais qui peut être aussi bien appréhendé dans le visible (par les modernes par exemple, analyses de sang, de selles, echographies, etc) que dans l’invisible (espace excédant de beaucoup le seul corps physique, qui souvent l’entoure, mais qui aussi peut être dans d’autres endroits).
La place qu’on leur laisse est une place que « quelque chose » nous empêche d’occuper, en prenant cette place qui n’est pas la sienne. Cette « chose », c’est le plus souvent un être humain ou non humain, invisible (ce que l’on appelle communément un « esprit »), mais cela peut aussi être une matière polluante, étrangère au corps et à l’individu. Ou encore une émotion, un souvenir, traumatique le plus souvent. Cet espace qui est alors indûment occupé devient problématique, car l’on ne peut y être présent. Le parasite vient alors dans cet espace, occupé par quelque chose qui n’a rien à y faire, et s’y installe à son tour : il vient nettoyer ce qui gêne ou simplement désigner cet espace comme étant problématique et il y restera tant que cet espace sera mal occupé.
Souvent, on observe que l’espace est occupé par les trois à la fois, la matière étrangère (par exemple, métaux lourd de vaccin, ou produit chimique tel que pesticide), l’émotion traumatique, et l’être invisible. Le parasite vient « juste » indiquer que cet espace est beaucoup trop encombré … Pour déloger tout cela, il faut toujours commencer par l’être invisible, car c’est lui le plus fort, c’est lui qui prend le plus de place. Et pour déloger un esprit, il faut savoir que l’éradication n’est d’aucun secours… Il faut négocier, parler, comprendre, écouter, aimer. Comme avec un être humain visible. Parfois il faut faire appel à des forces plus puissantes (Dieu, Déesses, Saints, Esprits de la nature, Anges, êtres humains disparus, etc) mais qui elles aussi se comporteront en amies bienveillantes, qui viendront demander avec douceur à l’inopportun d’aller dans un espace qui lui correspond. Ensuite seulement viennent les remèdes physiques, les décoctions d’armoise, les hydrolats de santoline, le brou de noix, l’ail cru, bien connu également des chasseurs de vampires. Alors le parasite comprend qu’il a finit sa mission, que son message a été écouté, et il part, car la place est de nouveau occupée comme elle doit l’être.
Après cette enquête sur le terrain des guérisseurs des animaux et des humains, je me suis demandée si il en allait de même chez les arbres et les végétaux… L’ardeur que l’on met autour de moi à la campagne pour éradiquer le gui des fruitiers m’a parut aussi suspecte que celle que mettent les médecins à donner des antibiotiques contre les parasites, ou celle que mettent les agriculteurs à éradiquer les mauvaises herbes et les insectes.
Le gui aussi pourrait donc être vu comme un indicateur, comme le messager d’un problème que rencontre l’arbre et qui n’est pas écouté ? Je ne connais pas assez de non modernes qui s’occupent des arbres, il semble que ceux qui s’occupent des humains et des animaux soient ceux qui aient le plus résisté et qui se redéployent le plus. Je vais donc devoir enquêter directement auprès des arbres et des guis, en adoptant la cosmologie non moderne des guérisseurs auvergnats, si proche de celle des aymaras boliviens.
Enquêter auprès d’un arbre, est moins facile qu’enquêter auprès d’un être humain, car le dialogue demande des ajustements et des traductions. Mais je connais maintenant d’excellents traducteurs, les analogistes-animistes auvergnats sont nombreux à manier antenne de Lecher, pendules, baguettes de noisetiers. Prendre au sérieux ce monde qui résiste aux naturalistes, c’est aussi prendre au sérieux leurs propres moyens d’enquête, et de traductions. Pour savoir de quoi a besoin un animal, il faut le lui demander, pour savoir de quoi a besoin un arbre, il faut lui demander. Je demande donc à un ami traducteur de venir discuter de tout cela avec un poirier que j’ai repéré, envahi de gui, dans un verger planté, et qui a du être « entretenu » de manière moderne jusqu’à il y a peu (quelques années). Nous sommes à quelques centaines de mètres de la Dore, rivière qui se jette dans l’Allier quelques kilomètres plus loin. La rivière est aussi bordée d’acacias, qui se meurent sous des centaines de boules de gui. Le lieu paraît « infesté » par le parasite.
Le poirier répond aux questions, volontairement neutres que je fais passer à mon traducteur qui ne connaît pas mon travail sur les parasites chez l’humain ni mon hypothèse non moderne que le gui se comporterait de la même manière.
Les premières réponses arrivent. Le poirier ne considère pas le gui comme un parasite mais comme une aide dont il a besoin car il souffre. Il souffre pour plusieurs raisons. La première est qu’il a trop d’eau sous lui, et qu’il n’a pas été planté au bon endroit. La deuxième est que l’endroit est pollué (le sol et l’eau). La troisième est qu’il a été « exploité » « sans amour » : il n’a jamais été remercié pour ce qu’il a donné, il a été coupé aux mauvais moments et aux mauvais endroits. Le gui « pompe » le « poison ». Le poison chimique (pollution), le poison émotionnel (la non reconnaissance pour ce qu’il a donné), et le poison de la fatigue que l’arbre doit traverser pour tenir dans un endroit pas adapté (trop d’eau). Le gui est donc un ami, qui est capable de transmuter le poison. Il le rend ensuite au travers de ses petits fruits blancs et ronds. Le gui en retour puise de l’énergie dans l’arbre. C’est un échange.
Je sais que les fruits sont toxiques et qu’ils sont utilisés par les guérisseurs non modernes contre les tumeurs, les cancers, car ils « pompent » le poison. Je ne me rends compte de cela que le soir, en y repensant. Je me demande pourquoi les chênes n’ont presque jamais de gui et lorsque c’est le cas, cela est considéré comme un cadeau d’une extrême rareté permettant de nombreux rituels et utilisations médicinales (moins de 50 arbres en France). C’est la question que je poserais à un chêne, une prochaine fois..
Les parasites et le traitement différencié que leur réserve les modernes et les non modernes posent très clairement la question de la place que l’on donne, en ces temps anthropocèniques, à l’autre (être visible ou non, humain ou non), dans son corps, dans son monde, sur la terre, et la place que l’on se donne à soi. Il semble que l’équilibrage des places demande beaucoup de négociation et de dialogue, nous disent les analogistes et les animistes.