Le val des veaux est sec et or
Le veau du val est fauve et dort
Rêve de fléole et de brome
De dactyle et de trèfle
De luzerne et d’ivraie
Ambroise est le nom d’un veau de lait
Qui n’est pas saint
Mais goûte le chant des abeilles
Il a eu quatre mois ce matin
Tête sa mère et mange du foin
Sommeille
Rêve de rivières et de mares
S’éveille
Court et broute l’herbe rare
Deux cornes affleurent sur son front
Il a de petits sabots gris et durs
Avec lesquels il gratte son chignon frisé
Qu’on dit aussi crépu
Et des cils de meneuse de revue
Qui battent l’air quand il a faim
Son pelage est dru, roux et brun
Bleuit quand la lumière est rasante
Ma main caresse ses flancs son dos ses reins
Sa croupe ses hanches
Descend jusqu’au bassin
Ecoute ses flux métaboliques, sa peau vibrante
Ambroise se frotte aux corps de ses sœurs et frères
Arthur Victoria Blaise Rosetta Salomé
Le foin est jeune et odorant
Craquant et parfumé
Il est sous sa langue une confiserie
Délectable… ?
Ou exquis
Me dit Ambroise ses cils battant l’air
Cet autre de l’an passé est un vin vieux
Les herbes s’y mêlent aux fleurs
Les légumineuses aux graminées
Il lui faut un palais délicat
Eduqué, de veau sevré
Qui retrouve en le mâchant un goût d’enfance
Ambroise tête, attrape une bouchée d’herbes sèches
Le lait prend le parfum du lotier
Il tête et mange court et se prélasse
S’agglutine à ses semblables
S’effarouche et sautille, se lance
Entend sa mère de loin meugler
Trottine dans l’enclos, s’approche
Ecoute ce qu’on a à lui exposer
Opine de son chef frisotté
Se lasse
Repart mastiquer la graminée
Cohue
Nasse
Les corps s’enchevêtrent
Le foin-pâte glisse dans les gosiers
Plonge dans le lait encore ardent
Qui s’est accumulé dans les panses
Ivresse
Danse
Ils titubent et vacillent
Ont les pattes frêles
Graciles
Les battraient s’ils avaient des ailes
Girent et tournent, oscillent
Dans la nuit du lait sainfoiné
Rêvent éveillés du monde où l’herbe est autre
Ambroise est immobile
Il pense
A quoi pense-t-il ?
Aux verts disparates des champs
A la langue râpeuse de la mère
Aux galops groupés serrés
A l’odeur aigre des mouillères
Où l’on n’ose s’aventurer
Au froid, au chaud, à l’heure
Où le soleil est rond
Au goût piquant des chardons en fleurs
A la frappe sourde des onglons sur la terre
Au bruit lancinant des moteurs
Il renifle des odeurs oubliées
Entend les échos flottants des troupeaux
Les images disséminent dans l’air
Cela ne dure qu’un instant
La pensée est éclair
Elle le traverse
Le relie au sol au ciel
Le laisse engourdi frissonnant
Heureux d’un heur qu’il ignore
Arthur est là qui l’attend
Il se colle à lui, renifle son flanc
Arthur et Ambroise
Croisent leurs pattes joignent leur front
Se reniflent les mufles
Cherchent noise à qui s’en mêle
Murmurent
Quand les autres meuglent
Chuchotent
Quand les autres râlent
Rêvent du val
Où le trèfle abonde
S’étendent
S’endorment
Se font un monde
Pleins de mouches et de foin
Ambroise à quatre mois.
Ambroise à 16 mois, fin août 2020.
Rosetta à 6 mois.
Rosetta à 18 mois, fin août 2020.
Le troupeau fin août 2019.
Le troupeau fin août 2020.