On considère depuis la publication des Caractères originaux de l’histoire rurale française de Marc Bloch (1932) que le bocage est la signature de l’individualisme agraire par opposition avec l’openfield, caractérisé par un habitat groupé, des champs ouverts exploité pour la céréaliculture par une communauté rurale contrainte par des servitudes collectives fortes [Bloch 1999 (1932)].
En Bourbonnais, on ne parlait pas de bocage mais de bouchures, c’est-à-dire de haies. D’après Pierre Bonnaud, le bocage, c’est-à-dire les bouchures, sont d’abord apparues autour de Moulins, dans une bande allant de la forêt de Tronçais à Dompierre-sur-Besbre, “ayant comme relais principal de son développement la bourgeoisie moulinoise“ [Paillet, 1996:40]. La bourgeoisie est ici la signature de l’individualisme agraire qui veut identifier avec clarté ses limites de propriété.
Mais ces limites sont devenues des obstacles économiques. L’accroissement de la taille des machines, qui ne peuvent se plier à des parcelles trop petites, autant que la pénalisation des haies, zones agricoles considérées comme non productives par les aides européennes à l’hectare, ont été l’une des causes de l’arrachement des chênes multi-centenaires et de l’arasement des taillis. L’autre cause est l’émergence vers 2015 d’une centrale à bois de grosse capacité qui dévore les bois alentours, à moins que cela ne soit les scieries chinoises, où son envoyé les billots de chêne, qui reviennent découpées en planche.
Il existe pourtant depuis quelques années un mouvement inverse à celui de l’arrachage, mouvement visant à replanter les haies, pour les valoriser en bois-énergie ou en litière. La mort annoncée du bocage, avec l’agrandissement des fermes, consécutive à la mort des petits agriculteurs, n’a pas encore eu lieu. Et ce faisant, le bocage n’a pas encore disparu en Bourbonnais et il est possible qu’il continue son histoire sous la double action des associations locales de défense du bocage, de la réévaluation de l’enseignement agricole et de la revalorisation énergétique autant qu’écologique du dispositif bocager.
C’est dans ce contexte qu’il n’est pas sans intérêt de revisiter les connaissances concrètes associées à la haie, sa puissance environnementale et économique autant qu’émotionnelle, psychologique et cognitive et de montrer comment la réstauration d’un tel paysage éco-culturel s’inscrit dans des pratiques de subsistance, des finalités métaboliques et thérapeutiques autant qu’imaginaires et symboliques qui peuvent constituer des ressources importantes dans la perspective d’une ruralité post-effondrement.
La haie bourbonnaise n’est cependant pas un symbole de vie sociale émancipée. Elle signe d’abord la dure vie des métayers et du rapport d’exploitation souvent violent qui soumet le métayer aux propriétaires ou aux fermiers généraux. Les haies étaient entretenues par le metayer qui faisait le tour du champs tous les 6 ans avant les labours. Les branches latérales des chênes étaient alors coupées pour le chauffage. « Seul le houppier sommital et le tronc appartenant au propriétaire, ces chênes furent parfois taillés très haut et parfois mêmes décapités pour « faire de la branche ». C’est pourquoi ces arbres portent aujourd’hui encore les stigmates de cette taille et la marque profonde des rapports sociaux qui prévalurent si longtemps dans le Bocage bourbonnais. En ce qui concerne les haies basses, on coupait tout ce qui avait poussé en hauteur et on rabattait les tiges dans la haie pour l’épaissir (haie vive et haie morte). Il fallait en revanche passer chaque année pour couper les côtés à la serpe. Lorsque l’on a commencé à mettre du fil de fer barbelé pour renforcer les haies, les dépenses nouvelles qui en découlaient furent prises en charge « à moitié » [Cochet, 2000].
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• Magali Watteaux, « Sous le bocage, le parcellaire… », Études rurales, 175-176 | 2005, 53-80.
• Lebeau, R. — 2000 (1969), Les grands types de structures agraires dans le monde. Paris, Armand Colin.
• Bloch, M. — 1999a (1931), Les caractères originaux de l’histoire rurale française. Paris, Armand Colin.
• Bloch, M. 1999 (1926), La terre et le paysan. Agriculture et vie rurale aux XVII et XVIII siècles. Textes réunis et présentés par Étienne Bloch. Paris, Armand Colin.