Trajectoire et arrière-plan socio-historique d’un lieu-dit

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L’histoire récente de La Mhotte, celle qui apparaît avec l’école de la Mhotte d’abord, puis avec le jardin botanique de la Mhotte une dizaine d’années plus tard, prend place dans une histoire longue, celle qui a fait d’abord naître un nom – “la motte“ – puis un bocage qui va constituer son paysage actuel.

Auteur : Bureau d'études, groupe d'artistes, habitants à la ferme de la Mhotte

On trouve le lieu dit “La Motte“ et “La petite Motte“ correspondant à l’actuelle Ferme de la Mhotte, dans la carte générale de la France établie par Cassini vers 1750.  Le cadastre est plus récent.

D’un point de vue cartographique, on voit inscrit sur la carte Cassini le nom du lieu dit la Motte. L’orthographe du lieu-dit varie selon les cartes entre La Mhotte, La Motte ou encore La Mothe. Cela signale-t’il l’existence une autre motte castrale que celle signalée juste à côté (le château de la Mhotte) ? Nous n’en savons rien.

Le terme de Motte, largement répandu en France sous une orthographe ou sous une autre, renvoie aux mottes castrales,  fortifications de terre qui ont accompagnées le mouvement de mise en valeur du sol au Xe et Xie siècle, prenant le relais des “oppida“, ces places fortifiées de la fin du Bas-Empire romain.

En Allier, les mottes castrales sont très nombreuses : plus de 90% des communes actuelles du département ont encore aujourd’hui conservé les traces de l’édification d’au moins une motte castrale. 32% des communes possédaient deux mottes et 18% en possédaient trois [René Germain, 2005 :55]. Les mottes castrales ont servi notamment à contrôler la circulation des hommes et des marchandises quand elles ne servaient pas de centre administratif ou de lieu de protection, marquant ainsi, une étape majeure dans l’encellulement des populations.

Hors les mottes castrales, il y a souvent autour d’elles des mottes que R. Germain appelle “de front pionnier“ (qui peuvent être aussi des mottes de surveillance) marquant l’avancée du défrichement à partir du XIe siècle. Elles ont accompagné la mise en valeur des terres nouvelles gagnées sur les zones boisées et humides [Germain, 2005:57].

Peut-être que la petite Mhotte (Cassini) et le château de La Mhotte qui se trouve à côté l’un de l’autre, ont formé à l’origine une même motte de front pionnier. Les lieux-dits limitrophes indiquent par leur toponymes, des terres de végétation dégradée (essarts, bruyères,…) ou de zones de défrichement (brousse, bussière, bois brûlé, etc). Mais le Bourbonnais dans son ensemble a une forte densité de noms de lieux habités issus de défrichement : sur les 320 commune actuelles du Bourbonnais, 400 lieux habités portent des noms de forêt dégradée, et 300 une végétation de petits bois [Germain, 2005:70].

Dix siècles, plus tard, l’Histoire de Saint Menoux de l’abbé Moret [2007] paru en 1907 fournit quelques données sur La Mhotte et ses environs  :

Le premier nom du lieu-dit, qui fait suite à la présence d’une motte castrale est “Fief de La Mothe-Chamaron“. Le terme Chamaron est celui d’une petite rivière cotoyant le domaine. D’après les registres paroissiaux, ce fief est possédé par les familles d’Anzely, seigneur du Plessis (originaires du Nivernais, établis dans le Bourbonnais depuis 1323), Guillouet, de Vic de Pongibaud, de Saint Roman, de Barbançois, Bleuart, Pilté et Jouslin entre 1597 et 1906 [Moret, 2007:303].

Les premières traces de propriété de la terre de La Mothe-Chamaron sont celles de la famille d’Anzely. Louis d’Anzely, sieur de La Mothe est signalé dans le registre paroissial de l’église de Saint Menoux, comme possesseur de la Mothe-Chamaron, le 22 avril 1597 [Moret, op.cit]. Le domaine devient Guillouet en 1689, seigneurs féodaux comme les précédents.

La terre est acquise par le comte Serre de Saint Roman, ce dernier acquierant le domaine le 26 juillet 1805 par contrat à l’étude de Mr Taillefert à Souvigny. Serre de Saint Roman possède également les terres et le château de Clusor et de Souys, ainsi que les Vernelles (acquisition le 14 septembre 1775). Elle possède aussi  sept grandes fermes, une tuilerie, un moulin et une locaterie.

Le 27 juilet 1844 en vertu des dispositions testamentaires du compte de Saint Roman, les terres de la Mothe (ainsi que celles de Souys et Clusor) passent à la marquise de Barbançois qui les vendit à Mr Louis-Charles Dubost. Le domaine de la Mothe est à vendu en 1846 à Jean-Raphael Bleuart. Il comprend à ce moment le château de la Mothe et sa réserve, les domaines de la Vallée, de la Breure, les locateries de Pessière, Provenchère, la Loge et Jayère pour une contenant totale de 352 hectares. Un cadastre non daté de l’époque qui comporte le nom de Jean-Raphael Bleuart, permet de se représenter la situation des terres et du bâti à ce moment-là.

De Bleuart, par succession directe, le propriétaire devient d’abord Edouard Pilté puis Gaston Jouslin, son gendre, avocat à Bourges. À ce moment-là, le château et sa chapelle disparaissent et sont remplacé par une habitation bourgeoise. Gaston Jouslin est également propriétaire de la Jarrie.

Bleuart et Pilté, puis Jouslin sont des notables de Saint Menoux. Ils contribuent à financer les cloches de l’église, effectuent des donations pour les pauvres. La grosse cloche de Saint Menoux a pour marraine Marie-Alice Pilté épouse de Gaston Jouslin, et porte leur nom. La famille Jouslin finance également la Croix de La Mhotte et le bureau de bienfaisance.

On arrive à présent aux racines de l’histoire présente. Ces racines sont liées à l’arrivée de ce qu’il est convenu d’appeler des “néo-ruraux“, à la fin des années 1970. Le Château de la Mhotte est acheté par un imprimeur parisien au début des années 1980. Cet imprimeur met le domaine en bail emphyteotique auprès de l’“association de recherches anthroposophiques de l’Allier“ (ARAA). C’est en son sein que va s’établir et se développer une école, qui passe en une quinzaine d’années de zero à trois cent élèves. Cette école auto-gérée par des enseignants qui souvent résident sur place, et par des parents d’élèves, s’inscrit dans la pédagogie Steiner-Waldorf (voir note sur le mouvement anthroposophique en Allier).

La Ferme de La Mhotte jouxte le Château de la Mhotte. Il est possible qu’à une autre époque, ces deux domaines n’en aient formés qu’un seul. Mais en 1990, la Ferme de la Mhotte est une ferme d’élevage. Jusque dans les années 1960, la ferme etait un lieu d’habitation et d’activité pour une quarantaine de personnes. Les conditions de vie étaient parfois très précaires. Les lieux d’habitation ne comportaient pas toujours le chauffage ni l’eau courante. Tente ans plus tard, la ferme n’a plus qu’un vieux couple en fin d’activité.

La ferme est racheté en décembre 1991 par un groupe de personnes (souscripteurs, amis et soutiens des initiatives anthroposophiques en Allier) sous la forme d’une Société civile agricole d’une cinquantaine de porteurs de parts. C’est un domaine d’une soixantaine d’hectares avec de nombreux corps de bâtiment qui permettent de mettre en place des logements individuels et collectifs et des espaces de travail.

Le groupe porteur de projet de la Ferme de la Mhotte (qui s’appelle alors “Domaine de la Mhotte“) est issu du bassin d’expérimentations sociales qui a vu le jour à la fin des années 1970 autour de l’école autogérée de La Mhotte (pédagogie Rudolf Steiner). Par cet achat, la volonté était de créer un “troisième pilier“ venant compléter les autres initiatives de ce petit territoire de recherche sociale formée par l’école Steiner de La Mhotte, le Foyer Michaël (un lieu de formation pour jeunes adultes dans une perspective marquée par les enseignements de Rudolf Steiner) et la Ferme de Béguets (ferme biodynamique).

Cinq projets se sont installés à l’origine sur la ferme : Une coopérative ayant pour objet de développer une plate-forme de distribution de produits biologiques sur l’Auvergne (Bio-centre, aujourd’hui L’échoppe). Une association culturelle, lieu de stages et de résidence pour jeunes créateurs (la compagnie du Chant des possibles). Une structure d’accueil de stages et séminaires. Un maraîcher. Un Jardin botanique (La Rose et la Passiflore).

Ce dernier projet change de statut en 1995 et se transforme en une entreprise d’insertion, Terre de semences, ayant pour finalité de commercialiser des semences non enregistrées au catalogue des semences commercialisables. Ayant fait faillite, cette activité s’installera alors à Alès en 1999 sous le nom de Kokopelli.

Le projet de jardin botanique et de semences fait faillite en 1996. Après la faillite de ce projet, et pour garder la ferme de la Mhotte ouverte à de futurs projets sociaux, une famille prend en main le destin de la ferme, y plaçant à la fois son énergie, son travail et son héritage. La dette contractée à l’issue de la faillite est progressivement remboursée jusqu’en 2012.

vers 2000, un maraicher s’installe sur la Ferme de la Mhotte. Mais la mésentente entre …… et la vision différente sur le projet, amène à une rupture. La famille maraîchère rachête une partie du domaine pour y construire une maison, et installe plusieurs serres sur la zone limitrophe. Un verger de pommiers est planté.

En 2006,  le couple de fondateurs gère les différentes activités de la Ferme (échoppe, gîtes) et l’association culturelle a arrêtée son activité. Un jeune couple vient tout juste de louer des terres et met en place une activité équestre. Il y a quatre habitants adultes. Un couple d’artistes parisiens s’installe sur la Ferme après avoir reçu la confirmation que le projet de la Ferme de la Mhotte n’était pas familial (malgré la présence de l’héritage) mais social.

Après cinq ans de travail (2007-2012), la situation de la propriété et la gouvernance ainsi que la configuration du projet de la Ferme est transformée :

  •  En 2009, un maraîcher s’installe d’abord et commence son projet de maraîchage en biodynamie avant de s’associer avec un autre maraîcher pour former le GAEC Jardin de La Mhotte. Ils pratiquent la traction animale pour leur culture à la fois sous serre et en plein champ. Ce jardin maraîcher accueille chaque année des stagiaires en formation agricole.
  • les parts détenues par des personnes physiques et morales sont progressivement données au Fonds de dotation Terres franches créé en 2012 (aujourd’hui majoritaire) dont l’objet est de sortir la terre et le bâti de la propriété. Ce fonds a vocation à laisser aux usagers du lieu toute responsabilité sur les usages et leur organisation.
  • l’association culturelle, la Compagne du Chant des possibles, créée en 1992 et ayant mené pendant 14 ans  un activité de programmation culturelle en s’appuyant sur une grange qu’elle a réhabilité pour en faire une salle de spectacle estivale, change progressivement d’activité.

Reprise progressivement par des nouveaux habitants de la ferme à partir de 2008, l’association réhabilite des bâtis : elle met en place un atelier commun, un bureau commun, une salle pour l’impression. Elle travaille à la mise en place de logements pour les écovolontaires et services civiques dont elle organise l’accueil sur la Ferme.

L’association Champ des possibles met à disposition un local pour le développement d’une gratuiterie (un magasin gratuit mettant à disposition des vêtements, des matériels de puericulture et des livres) sur la Ferme de La Mhotte (2011). Puis, deux ans plus tard, cette activité se couple à un projet de ressourcerie , activité dont le but est de collecter des biens jetés en déchetterie et de les revendre à bas prix pour réduire les déchets et pérenniser des emplois. Le montage de l’activité est financé par Fonds social européen. Une convention est mise en place avec le SICTOM, l’organisme qui gère les déchets sur le canton. En 2015, un nouveau magasin est ouvert dans la petite ville de Bourbon l’Archambault. Deux projets de financement européen sont mis en place pour financer le projet de la Ferme et la ressourcerie.

La Ferme de la Mhotte regroupe aujourd’hui une vingtaine d’habitants ou actifs. Elle est gérée par un collectif d’administrateurs d’une dizaine de personnes (habitants, actifs ou usagers) au sein de l’association Ferme de la Mhotte. Elle accueille chaque années trois écovolontaires allemands, des stagiaires, des services civiques. Ce collectif n’est pas, à proprement parler, une communauté intentionnelle (intentional community) ou une groupe affinitaire.

Parmi les activités de la Ferme on retrouve notamment le spectacle vivant, l’impression, l’édition, la revalorisation/réemploi des déchets, un activité de gites et accueil de stages/résidences d’artistes, le maraichage, le commerce de produits biologiques, l’hippologie et l’accueil de chevaux, la production de petits fruits et l’élevage d’oies.