Les habitants des lieux : vaches, oies, grillons, limace…

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Lors des Rencontres de la Mhotte des ateliers d’écriture ont été proposés. Il s’agissait d’écrire à propos d’un animal connu et en situation, c’est-à-dire en en faisant l’observation, s’obligeant ainsi à se confronter à sa présence. Plusieurs personnes se sont prêtées à l’exercice ce qui a permis de rendre par l’écriture des vies animales sur ce territoire.

EMMANUEL – BOURDON DE BOURDON

« Le bourdon est un bon gros insecte… » Manuel de sciences naturelles, classe de 5ème, années 1950

« Bon gros insecte… t’en foutrai moi… Fleur droit devant… accrochage des pattes : pattes accrochées…retournement : hop !… Bon gros insecte… gros cul oui… hop, retournement gros cul blanc devant, dos en bas… dos en bas, tête dans le truc : pompage… pompage de nectar. Un, deux, trois… trois secondes… trois secondes et décrochage… attention : basculement, gros cul blanc en bas, décrochage… petites ailes qui frétillent… battement : fleur suivante… quarante-cinquième… procédure, procédure… fleur suivante droit devant : accrochage ; pattes accrochées… procédure retournement : retournement du gros cul blanc : gros cul retourné… procédure pompage… slurp… pompage… pompage… procédure décrochage… procédure fleur suivante… quarante-six… accrochage… cul en avant, hop, dos en bas… procédure… gavage… un, deux, trois, oups, zut, quatre, cinq, six… m****, six seconde : bide… quel raté ; fleur suivante… six secondes… personne n’a vu… Bon, fleur suivante : procédure… procédure… un, deux… eh m**** de m****, saleté de fleur… s’est encore décrochée… bon gros tu parles… gros cul oui… cinquième qui décroche… marre… quarante huit… procédure… d’un autre côté on bouffe tout le temps… gros cul tu m’étonnes… procédure gros cul devant… pompage pompage slurp… bon gros insecte… ça repart… j’voulais être postier moi… conduire une quatrelle… boire des coups… finir à quinze heures… Bon gros insecte… t’en foutrai moi… »


LÉONORA  – LES VACHES

Étonnante structure carrée, fichée là, puis là, concentrée à arracher méthodiquement ces rangées de substances terrestres, engrangeant la matière nécessaire à l’élaboration de leur tâche. Paysage animé d’une variation lente, comme une respiration mécanique, organisé par une quelconque nécessité, variable et pourtant commune. Ponctuant l’espace de nonchalantes oscillations, de ces culs agrémentés d’un balai, chasse mouche puissant et relayé par les battements d’oreille. Leur pelure semble aujourd’hui aplatie comme écrasée par le soleil renforçant la saillance de leur structure osseuse, chez les mères surtout. Les bœufs ont gardé la trace de leurs jeunes mois, bien qu’ayant quitté l’oursonne apparence.

 C’est maintenant l’heure de la sieste quand j’arrive sur les lieux. Les Highlands sont alors regroupées à l’ombre du bosquet des trois chênes. L’une en pleine gestation s’est postée au pied du plus vieux, encadré par le tronc et des branches mortes affaissées. Elle est là, debout, immobile, seule sa longue queue touffue balance, ondoyante, pour éloigner les Agaçantes. Même les oreilles sont maintenant au repos, seule sa mâchoire oscille de droite à gauche ruminant leur déjeuner, les yeux voilés par ses lourdes mèches à peines relevées par les magnifiques cornes élancées. Ces cornes majestueuses caractéristiques de ces petites vaches rustiques aux longs poils façonnent comme une coupe à leur sommet  dont la courbure semble refléter la qualité de réceptacle. Se détache une génisse encore bien velue qui se dirige vers moi, elle reprend sa cueillette. Ça et là, quelques membres ayant remarqué ma présence se penchent vers l’avant en basculant sur les genoux pour se relever et reprendre la collecte d’herbages, disséminant peu à peu le groupe au repos actif.


NATHALIE – LES VACHES

La vache traine derrière l’arbre. Les mouches l’irritent, sa tête s’agite. Son corps bascule de droite, de gauche, tentant vainement d’échapper aux mouches attaquantes. Il faut seulement ne pas y penser, il faut le faire, croit-elle. Une deuxième vache nous regarde, perplexe, le regard abrité par sa frange, blonde et longue, pendant que son veau lui tire le pis, revendicateur. Elle n’a pas l’air de lui en vouloir, mais de trouver sa place, confite au milieu du pré, immobile ou presque sous l’arbre. Non loin, une troisième vache se gratte avec grande insistance sur le tronc de l’arbre, l’écorce rugueuse à la mesure de la chênitude de ce vénérable. Une quatrième vache, à la recherche de glands ou de jeunes pousses, pointe son désir non plus en direction du sol, comme de nombreux ruminants, mais vers le ciel, ce qui donne à son cou, son grand cou, son gros cou, une torsion inhabituelle.

Le taureau du troupeau meugle : de quoi veut-il s’occuper ? Il s’avance invaincu puis s’arrête sous l’arbre, à la recherche de repos. L’énorme silhouette chasse les prétendants à l’ombre. De l’autre côté du pré, loin de l’ombre et loin de l’arbre, une dizaine de bêtes rousses, presque d’or, se prélassent et broutent mollement. Pendant ce temps-là, action, crie le taureau qui ne sait pas mâcher ses mots et pointe ses cornes à l’encontre d’une autre qui ose s’approcher et se venge sur son veau de la violence qu’elle-même subit. Le bosquet forme le cœur du pré.

La matière singulière de ces bêtes, des vaches laineuses, leur confère une sorte de vertu, une apparence de jouet en peluche, qui les transforme en signes visuels.


NATHALIE – LES GRILLONS

Cri des grillons, dans l’herbe,
comment les observer ?

NATHALIE – LES MOUCHES

La mouche se rend volontaire
sur l’arrondi luisant du stylo
puis se hisse sur le manche.

NATHALIE – LE TAUREAU

Il y a une erreur sexuelle,
hurle le taureau,
qui se voit monté par une vache.

NATHALIE – LES VACHES

Quatre seulement à l’extérieur du cercle
Les trois chênes épais
et les vaches au centre.
Le taureau s’éloigne,
nonchalant.


ALEXANDRE – LES OIES

Point de départ. Esprit migratoire.

Fière allure, à l’esprit vagabond et fécond. Tu cries et m’appelles. Et tel, en deux coups d’elles, l’idée fuit. Déjà partie. La plume s’envole, alors que la mienne s’affole. Dans mon esprit, plus rien ne luit. Je suis lié, lié à elles, lié à toi, tu m’as séduit. Sans rien attendre, je pars. Dans ce voyage où tu m’entraînes  je ne peux te suivre. Alors mon imaginaire prend le relais. Ici ou là, las de ce temps, où je t’attends. Puis tu me souris. Enfin je crois. Car de toi, je ne retiens que ça. Et puis soudain, plus rien. Elle est partie, reviendra demain ? Déjà renait la vie, et de nouveau, tu me souris. Se glisse entre nous ce lien, celui qui nous unit. Éternelle et perpétuelle, je souligne comme tu es belle. Déjà plus rien n’a de sens. Point de départ. Tu cries et m’appelles.


OLIVIER – L’ÉCORCE ET LA SOIE (la limace)

Mon pied glisse comme la sève.
Silencieusement.
Il m’ouvre des chemins aux motifs turbulents.

Mon écorce élastique étire ses plis.
Je quitte la communauté des arbres;
Et emporte sur mon dos la marque des géants.

Je suis hybride.
Chêne et roseau, sans craquement.
Enroulé dans la soie, je dis rouge mais enfante blanc.