Cohabiter avec les parasites : deux entretiens avec Michel Barrère

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Né à Versailles d’une mère institutrice et d’un père cheminot, éleveur par goût et vocation, Michel Barrère s’est installé dans l’Allier en 1989 après des études à l’école d’agriculture biodynamique de Lormoy. Il a fait partie de ceux qui se sont opposés à la politique d’éradication des parasites et des virus menée par les gouvernements successifs à partir des années 1990. Il a développé dans sa ferme d’Agonges et à travers ses combats une pensée de la santé animale reposant sur l’immunité et la cohabitation avec les parasites. Son action s’inscrit dans l’héritage de Claude Monziès et Jean Coulardeau. Michel Barrère est atteint depuis sa naissance d’une hémiplégie qui gène son expression orale.

Auteur : Entretiens enregistrés les 20 et 21 août 2017 dans la ferme de Michel Barrère, en présence de Nathalie Blanc, Cyria Emelianoff, Olivier Labussière, Claire Revol, David Christoffel, Léonora Fiol, Patrick Degeorges et Bastien Gallet. Transcription du premier entretien par Oliver Labussière, montage des deux par Bastien Gallet.

Nathalie Blanc : Ce qui nous intéresserait, pour commencer, c’est que vous nous racontiez le combat que vous avez mené contre la vaccination animale et précisiez les raisons qui vous ont engagé sur cette voie.

Michel Barrère : Alors là vous m’engagez à parler d’un sujet très précis. La vaccination animale.  Elle m’a occupé de nombreuses années, mais le fondement de cette lutte c’est parce qu’à travers cette vaccination on était privé de notre liberté d’agir comme on le souhaitait avec nos bêtes. Et puisqu’on parle de vaccination, on arrive dans le domaine de la santé, et la santé est toujours en polarité avec la maladie, et donc on est dans un équilibre qu’il faut gérer. C’est le travail de tout éleveur. C’est une réalité qui existe depuis le jour où l’élevage a commencé. C’est vrai qu’il y a eu plusieurs tournants dans l’histoire de la santé animale. Il y a eu une période qui est celle que décrit Olivier de Serres au XVIe siècle, on peut faire ensuite un bond au XIXe siècle avec la naissance de la corporation des vétérinaires. Et puis aujourd’hui, depuis les années 1990 on peut fixer une date précise, ce sont d’autres enjeux qui font irruption de façon violente et autoritaire dans le travail de l’éleveur et dans sa relation avec les animaux. C’est un sujet qui a déjà été traité depuis de nombreuses années par divers scientifiques. Très tôt dans ma carrière, c’est-à-dire une dizaine d’années après mon installation, le vétérinaire sanitaire est venu vers moi et m’a dit, M. Barrère, il faut que je fasse une injection d’insecticide, qui s’appelle l’Ivomec, à microdoses, pour éradiquer le varron. C’était pendant l’hiver 1996-97. Je lui ai dit : ça ne fait pas partie de mes conceptions que d’éradiquer des parasites. J’avais fait le choix depuis plusieurs années déjà de pratiquer l’agriculture biologique, et plus particulièrement biodynamique à laquelle j’étais formé. Et j’avais fait ce choix parce que j’avais été particulièrement déçu de l’apprentissage que j’avais reçu en lycée agricole dans les années 1974-76. Et donc j’avais commencé à apprendre cette agriculture biologique et biodynamique et les personnes qui me l’ont enseignée m’ont dit qu’en agriculture biologique, on ne cherche pas à éliminer le parasite. On cherche à ce qu’il y ait un équilibre, par les moyens de l’alimentation, du chargement dans les prairies, la sélection d’animaux plus résistants, on cherche à ce que le parasitisme ne soit pas un problème. Alors pourquoi on en vient aussi vite à cette notion de parasitisme, parce que c’est la grande difficulté qui existe partout quand on travaille avec des êtres vivants, avec des animaux ou des végétaux. Le parasitisme, c’est le problème. Et c’est ce qui nourrit aujourd’hui toutes les grandes sociétés pharmaceutiques et de l’agrochimie qui se développent grâce à la production d’antiparasitaires ou de produits de soin. Alors n’étant pas dans cette conviction, et là le mot conviction, il fait suite à une autre période où plus jeune je rêvais d’agriculture, je rêvais d’élevage, je rêvais d’un rapport à l’animal qui pouvait être harmonieux. Et ce rapport à l’animal harmonieux, je l’ai trouvé dans différents textes, dans la rencontre avec différentes personnes qui m’ont dit, oui c’est possible ! Quand en 1996 j’ai été amené à traiter mes bêtes, j’ai dit au vétérinaire : écoutez… je vais obéir puisque vous me dîtes que c’est un arrêté ministériel qui m’oblige, mais je vous assure que je vais prendre ce problème, je veux le comprendre et je veux voir toute son importance. Donc, j’ai laissé le vétérinaire traiter mes bêtes. Et ensuite, j’ai vu que l’arrêté était un arrêté préfectoral, pouvait être attaqué. Donc j’ai attaqué l’arrêté préfectoral avec quelques collègues. En même temps que nous nous sommes engagés dans une démarche juridique, il a fallu s’engager dans une vraie démarche de connaissance et on s’est vite rendu compte que les connaissances arrivaient toujours par pair, en opposition. Là on est dans une grande dynamique épistémologique, à savoir qu’il n’y a pas une vérité unique. Donc j’ai creusé en allant vers des travaux scientifiques qui défendaient cette notion d’équilibre entre le parasite et l’hôte et ça m’a permis de m’affirmer dans cette position d’opposition aux prophylaxies qui nous étaient imposées. Alors, cette éradication du varon, accessoirement, elle a été négligée par beaucoup de scientifiques, et c’est là où j’attends de ces scientifiques qui parlent de l’animal, qui parlent du vivant. On a besoin aujourd’hui, d’aller vers une ouverture d’esprit qui permette de prendre en compte des réalités empiriques qui existent, qui ont existé, et qui méritent encore de perdurer. Spontanément avec quelques collègues on s’est opposé à l’éradication du varon. Le traitement qu’on m’a imposé en 1996 avait pour objectif d’éradiquer le varron. Le varron c’est le nom qu’on donne à la larve d’une mouche qui s’appelle hypodermabovis ou lineatum, il y a deux espèces, mais on avait, nous petits paysans, la conviction qu’il n’y avait pas la nécessité d’éradiquer cette mouche. C’était le début de ce nouveau paradigme, É-RA-DI-QUER, faire disparaître totalement. Quand, au fil des années, d’autres maladies se sont développées, on a voulu de nouveau les éradiquer. On a voulu éradiquer la fièvre catarrhale ovine, et là on entre dans la notion de vaccination. C’est là que je peux faire le lien… l’État français lance, en 2007-2008, un programme d’éradication de la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO). Quand on parle de l’élevage en France, il y a eu de nombreuses maladies dont on retient l’importance. Alors, très anciennement, la fièvre aphteuse dans les années 1950-60, la brucellose plus ou moins selon les régions, et il y a eu ce qu’on a appelé l’épidémie de la vache folle. Je pourrais en parler si vous voulez parce que j’ai étudié le problème. Il y a eu cet épisode de Fièvre Catarrhale Ovine en 2008, qui a surpris tous les professionnels et tous les gestionnaires de la santé animale parce que c’était une maladie qui était endémique au sud de l’Europe, en Italie, en Grèce, mais pas en France. Et soudain, la maladie apparaît… j’aime comme les scientifiques français parlent au public. La maladie, elle « apparaît » un jour au sud de la Hollande… entre la Belgique et la Hollande. La maladie « apparaît ». Ah ! quand j’ai entendu ça j’étais furieux. Une maladie n’apparaît pas. Elle a un vecteur qui s’installe, il faut trouver l’origine de son arrivée. On nous a caché… je parle en tant qu’éleveur… on nous a caché l’origine de cette maladie. Vous avez peut-être appris il y a quelques jours le décès de Nicole Bricq, la députée socialiste, il se trouve qu’en 2007, elle a fait un rapport sur la fièvre catarrhale ovine. Et elle donne que vaguement des explications sur l’origine de la maladie en France.

N. B. : Pourriez-vous nous parler de la maladie ? Comment se manifeste-t-elle chez l’animal ?

M. B. : C’est un virus, les symptômes sont ceux d’une grippe : de la fièvre qui entraîne un manque d’appétit, après il y a d’autres signes de complication comme des boiteries, comme des abcès sur les muqueuses. C’est une maladie qui effectivement n’existait pas en France mais dont a été surpris très vite de voir qu’il y avait une très bonne réponse immunitaire de la part des animaux. Et là dans ce rapport de Nicole Bricq, à aucun moment elle ne parle de la réponse immunitaire, qui à la même période est pourtant constatée par des spécialistes d’un réseau de surveillance de la santé animale.

N. B. : C’est une maladie qui entraîne la mort de l’animal…

M.B. : …peut entraîner la mort de l’animal. Et là on joue sur la fibre émotionnelle. On propose une vaccination facultative. On est en 2008. C’est une maladie anodine en ce sens qu’elle se guérit. Et si l’animal arrivait malade à l’abattoir, la viande serait saisie, parce qu’il serait fiévreux. À l’abattoir on sait reconnaître un animal fiévreux. Et une fois que l’immunité a été acquise, une fois que les symptômes ont disparu, c’est-à-dire après 15 à 21 jours… l’animal se retrouve en bonne santé, et avec un capital immunitaire enrichi. Si on s’est opposé à cette vaccination systématique… il faut bien voir que moi et quelques collègues, ce qui nous ennuyait c’est que cette vaccination était systématique. Elle est devenue systématique quand le ministre de l’agriculture Michel Barnier a été remplacé par juin 2008 par Bruno Le Maire. Et Bruno Le Maire, ils l’ont choisi pour que justement il rende la vaccination obligatoire. Je vous rappelle que cette vaccination obligatoire pour les animaux… c’est à la même date qu’ont très soutenu les propositions de vaccination contre la grippe H1N1 par Roselyne Bachelot… Faites bien le lien. Aucun média n’a fait le lien entre les vaccinations FCO, la grippe H1N1 et la disparition du vaccin Trivalent DTP, remplacé par les tétravalents et les hexavalents, nettement plus onéreux… Je me permets d’en parler parce que c’est d’actualité depuis trois semaines, un peu plus d’ailleurs. Au même moment, il y a eu ces décisions de prise, aucun journaliste n’a rapporté ces trois évènements ensemble, alors qu’au niveau des dates ils sont liés.

N. B. : Quelles sont vos hypothèses par rapport à ces obligations de vaccination de la fièvre catarrhale ovine ?

M. B. : Les enjeux sont doubles pour les promoteurs de la vaccination. Premièrement, et accessoirement, c’est pour soutenir le lobby pharmaceutique. Bon, c’est une banalité, mais il faut savoir que le lobby pharmaceutique est dans une situation économique vulnérable depuis que dans les années 2000 on a fait la chasse aux antibiotiques. Vous vous souvenez tous du fameux spot « les antibiotiques c’est pas automatique ! ». Dans l’élevage, on a eu un programme de diminution de la quantité d’antibiotiques de 30 %. Bon c’est sympa… mais il faut se dire que c’est une diminution de 30 % de leur chiffre d’affaire. Ah ! Là c’est plus difficile à supporter pour une entreprise. Donc dans le même document publié par le ministère de l’agriculture qui invitait les éleveurs à diminuer les antibiotiques, il y avait comme solution de remplacement des vaccins. Donc faire en sorte que le chiffre d’affaire reste le même en faisant passer les profits des antibiotiques aux vaccins. Dans cette dynamique-là, on a rendu obligatoire de nombreuses vaccinations… la FCO, et aujourd’hui il y en a encore une autre, ça s’appelle l’IBR (infectieuse bovine rhinotrachéite). C’est un truc anodin mais ça fait vendre du vaccin. L’autre thème, c’est le thème idéologique. C’est-à-dire qu’on souhaite déposséder l’agriculture, l’agriculteur de la capacité d’autonomie qu’il a de donner la santé à ses animaux. Et ça c’est un projet qui n’est pas neuf, qui date du milieu du XIXe siècle. Je ne sais pas si vous connaissez Jocelyne Porchet, je pense que c’est elle qui l’a traité de la façon la plus majestueuse dans sa thèse, qui a fait l’objet de son livre, Éleveurs et animal : réinventer le lien (PUF, 2002). Réinventer le lien c’est bien, mais ce lien n’est viable que si l’animal est en bonne santé. 

N. B. : Ce que nous aimerions savoir, c’est le lien au territoire. Vous faîtes partir cette lutte avec plusieurs de vos collègues. J’imagine que vous gagnez d’une manière ou d’une autre. Vous faîtes casser l’arrêté préfectoral, c’est ça ? 

M. B. : Personnellement je me suis retrouvé cinq ou six fois devant les tribunaux. Soit le tribunal administratif, soit le tribunal de police. Souvent on gagne… la première fois j’ai perdu parce qu’avec les collègues on n’avait pas voulu prendre d’avocat. Au tribunal administratif, ce n’était pas obligatoire. On a été plaider notre cause à Clermont-Ferrand, et là c’était comique. Le juge, il s’est foutu de nous gentiment. Et on a perdu. Alors que les collègues de la Haute-Loire qui avait fait le même travail, parce qu’on travaillait avec eux, mais rédigé par un avocat, eux ils ont gagné, avec les mêmes arguments. C’est juste le juge qui avait changé entre les deux jugements. C’est le seul recours qu’on a aujourd’hui : aller vers la justice et faire valoir un droit… Alors quel droit ? Ce droit il n’est pas forcément inscrit dans un texte. Mais on arrive à gagner, soit sur des erreurs de forme, c’est arrivé. Mais quelques fois sur le fond aussi. À Moulins, quand on a été jugé, je suis fier parce que le juge a dit : nous ne retenons pas le principe de précaution comme argument, mais nous avons vu qu’il n’a pas été présenté de façon abusive. Alors ça a été quand même un petit truc sympa qui nous a fait plaisir. Ça c’est notre rapport avec la société. Ce sont les députés qui ont mis en œuvre tout un panel de lois et on se sert de ça pour défendre notre peau, pour défendre nos valeurs. Vous parlez ensuite de territoire. Alors le territoire, qu’est-ce que c’est ? Ici c’est l’Allier. L’Allier c’est un département bizarre. Je ne sais pas si vous avez vu au fil des dernières élections, ça a été un département rouge ! Avec le 93… c’est le hasard, mais il y a eu dans l’Allier la naissance du syndicalisme agricole et le paysan écrivain, Émile Guillaumin, qui a vécu la première partie du XXe siècle. Hasard… on s’est retrouvé avec quelques collègues dans le coin à être indisciplinés. On a essayé de sensibiliser les autres éleveurs autour de nous à ces prescriptions autoritaires qui arrivaient dans nos fermes. On a été suivi à la fois par des éleveurs bio et par des éleveurs non-bio. Parce que les éleveurs ont en commun l’amour de leurs animaux, l’amour de leurs troupeaux, et il y a une constante au-delà de toutes les étiquettes qui est celle du souci de la santé de l’animal. On avait pressenti que des prophylaxies systématiques pouvaient être malsaines.

N. B. : Ce combat que vous avez gagné, est-ce qu’il a eu une conséquence sur le rapport des éleveurs à leurs animaux ? Est-ce que ça marque une évolution dans le rapport à l’animal dans cette région ?

M. B. : Évolution… à chaque victoire, les éleveurs qui sont un peu hésitants à nous suivre, sont confortés dans leur intuition d’avoir suivi, d’avoir été dans le bon choix. C’est important parce qu’on est sans cesse interpellé par les promoteurs du progrès. Les promoteurs du progrès, ils ont à leur service toutes les revues techniques, de nombreux techniciens de la chambre d’agriculture, ils ont à leur service les vétérinaires, et il est très difficile d’échapper à la soumission au progrès. Les revues ont peu les foutre à la poubelle, les techniciens de la chambre d’agriculture on peut les laisser de côté, mais les vétérinaires c’est plus difficile. Parce qu’on a toujours besoin de faire appel à un vétérinaire, il y a toujours des accidents, une vache qui s’abîme un pied, une vache qui a une mammite, une vache qui a mal à l’œil. Et dans notre système français, on avait quelque chose de remarquable, c’est que le vétérinaire qui venait pour des soins privés, était celui qui devenait aussi vétérinaire sanitaire. C’est-à-dire que pendant une heure ou deux dans l’année, ce vétérinaire avait le statut de fonctionnaire. Et là il venait, il vient toujours chaque année, pour faire ce qu’on appelle les prophylaxies. Cela consiste en deux éléments : une prise de sang à partir de laquelle on voit s’il n’y a pas des maladies qui traînent (brucellose, fièvre aphteuse…), et puis les vaccinations ou traitements insecticides qui ont pu être rendus obligatoires. Et là l’éleveur est extrêmement vulnérable parce qu’il a devant lui une autorité intellectuelle, une autorité administrative et donc il ne veut pas se mettre mal avec une personne qui va revenir les jours suivants, tout au long de l’année pour soigner un animal. Ça a été très bien compris par les lobbys qui ont, à mon avis, su tirer profit de ce système qui était très pertinent pour faire prendre des produits de façon abusive. Parce qu’on est nous, paysans et éleveurs, un public captif. On a très peu de marge de liberté pour se déplacer dans l’espace, changer de métier dans le temps. Nous on est là. Moi ça fait bientôt trente ans. Donc ils viennent chez nous, et ils nous imposent des types de prophylaxies qui ne sont même plus en rapport avec les données scientifiques. Quand on a rendu obligatoire la vaccination contre la fièvre catarrhale ovine, figurez-vous que trois-quarts des animaux étaient déjà immunisés naturellement… Oui ! ça rend fou ! ça coûte cher, et c’est une aberration intellectuelle, c’est un abus terrible ! Il se trouve que la maladie était descendue en 2006 de Hollande et de Belgique, sur toute la partie nord-est de la France. Et puis elle s’était arrêtée dans les Ardennes. Et il se trouve comme par hasard que le département des Ardennes n’avait été touché que par moitié. Les institutions de surveillance sanitaire avaient vu qu’il y avait une moitié du troupeau qui était immunisée et la moitié sud qui ne l’était pas, fin 2006. En 2007-2008, la maladie est descendue sur tout le sud de la France, donc en 2008 on rend obligatoire la vaccination alors que… 95 % des bêtes ont été immunisées être juin et septembre.

Cyria Emelianoff : Vous n’avez jamais pu trouver des alliés chez les vétérinaires ou les scientifiques pour prouver cette immunité ?

M. B. : Si quelques-uns. Si on a trouvé un vétérinaire homéopathe qui est aujourd’hui décédé, il était au sud du département. Il était vétérinaire sanitaire. J’ai encore le témoignage qu’il a écrit pour qu’on s’en serve au tribunal. Et l’État a fait du chantage pour lui retirer son mandat sanitaire. Voilà ! Aujourd’hui il y a une autre équipe de vétérinaires, GIE zone verte, qui défend les thérapies alternatives et qui commence à comprendre qu’il y a des abus. Mais, dans l’histoire, tout le monde à quelque chose à perdre en disant la vérité. Nous, éleveurs, on est piégé. Il faudrait qu’on ait les moyens de se payer des super-vétérinaires… mais c’est une corporation. Ils ont fait le serment de ne pas se trahir les uns les autres. Ils mentent ! Nous, on ne peut pas mentir ! Ils mentent ! Quand je vous dis ça, c’est que j’en ai les preuves. Il a fallu avec un collègue que j’écrive deux fois à la CADA… je ne sais pas si vous connaissez la CADA, le centre d’accès aux documents administratifs. On demandait à l’administration des documents publics, ils nous les refusent. Pour demander à la CADA deux documents… il faut être motivé ! Tout se fait par abus de pouvoir. Tous les acteurs sont dans des situations d’abus de pouvoir. Ils profitent de leur statut pour imposer, faire passer la pilule, et orienter l’agriculture dans une voie idéologique qui est de plus en plus éloignée des données scientifiques. Heureusement, il y a des personnalités comme Jocelyne Porchet, comme Aurélie Choné… je trouve qu’elle a fait quelques articles intéressants, pour montrer il y a des alternatives qui méritent aujourd’hui d’être protégées. Protégées… parce qu’on est agressé ! La presse ne fait rien pour aider. Autre exemple, les prophylaxies animales c’est une chose mais végétale… aussi. Vous avez tous entendu parler du procès du vigneron bio il y a quelques années. 

N. B. : C’était dans le bordelais ?

M. B. : Non, c’était vers Dijon, en 2013-14. C’est un vigneron en bio, biodynamie un petit peu. Il refuse de traiter ces vignes avec un insecticide chimique officiel alors qu’il y a un arrêté préfectoral qui oblige à éradiquer la cicadelle. La cicadelle c’est un insecte qui est vecteur d’une maladie qui s’appelle la flavescence dorée, pour la vigne. Donc il y a des territoires qui sont touchées, et là encore des vignerons bio refusent d’éradiquer la cicadelle. Le vigneron passe au tribunal, j’interpelle la presse, j’écris à de nombreux journaux. Je leur dis, c’est bien de soutenir le vigneron, mais dirigez vos micros vers les députés. Parce qu’au même moment où la presse faisait écho et demandait au juge de ne pas appliquer la loi – on voulait qu’il soit relaxé – au même moment les députés, les sénateurs étaient en train de voter une nouvelle loi qui allait rendre encore plus obligatoire la soumission aux prophylaxies. C’était la loi du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll. Moi, j’ai lu attentivement sa loi « Avenir de l’agriculture » en 2013. Je l’ai lu attentivement, en particulier la partie sanitaire. Il y a quelque chose qui ne me convenait pas parce que ce fou recopiait exactement ce que Le Maire, son prédécesseur, avait fait en matière sanitaire. Je me dis, pour un socialiste il pourrait faire mieux. Donc je prends mon courage à deux mains, j’interpelle les députés du coin, et puis je leur dis, branchez moi sur le rapporteur du projet de loi.  Le rapporteur, c’était un type qui me paraissait bien, Germinal Peiro, député de Dordogne me semble-t-il, et donc à force de démarches… avec un collègue on va voir Germinal Peiro à l’Assemblée. Il nous dit, écoutez j’ai juste une heure pour vous recevoir, après il faut que j’aille écouter l’investiture du premier ministre de l’époque, Emmanuel Valls. On parle avec Germinal Peiro, on lui dit, voilà, avez-vous vu cet article de loi ? Heu… non… Il faisait trois lignes. Il s’agissait d’officialiser une ordonnance qui avait été prise par Le Maire. Bon… il ne l’avait pas lu, il n’a pas voulu être sensible à une autonomie qui aurait pu être accordée aux éleveurs bio ou non-bio concernant la maîtrise de la santé animale. Et ensuite, comme on avait interpellé une sénatrice du département, on a reçu ensuite une lettre du Ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, qui nous disait, il n’y a pas de raison que le bio ne soit pas soumis aux mêmes prophylaxies que les autres. Voilà ! Tout le monde au même niveau. Aujourd’hui, on est toujours dans ce contexte-là. Les initiatives qui vont vers une autonomie dans la gestion de la santé des animaux sont interdites. Et là je suis à la veille d’un nouveau procès. Il y a quinze jours trois semaines, j’apprends que je dois me soumettre à un programme d’éradication de l’IBR. Je n’aurai pas de vaccination obligatoire puisque que mes bêtes ne réagissent pas, ne sont pas positives, mais je refuse de participer à un programme qui veut éradiquer une maladie. 

C. E. : J’ai une autre question sur la confédération paysanne, parce que là je découvre un problème que je ne connaissais pas et qui me paraît énorme… Sur la médecine environnementale il y a des réseaux de médecins. Comment la confédération paysage prend-elle cette question ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de contre-offensive plus visible, notamment dans les médias ?

M. B. : C’est une très bonne question… Toutes les structures bio ou ouvertes à l’agriculture bio, la confédération paysanne fait partie de celles-là, sont limitées dans leurs revendications parce qu’elles dépendent financièrement de subventions à tous les niveaux, départemental, national. Ceci étant dit, j’ai et nous avons toujours offert, et à la confédération paysanne en particulier, notre expertise. Notre expertise parce qu’on a toujours eu conscience qu’on était sur un sujet complexe, qu’il y avait énormément de documents à lire, à analyser. Moi j’ai lu des tas de rapports parlementaires, sur la grippe H1N1, 600 pages, des sénateurs, 200 pages, et des tas de tartines comme ça. Donc on a toujours proposé notre analyse à ces organismes. Quand je dis on, ce sont des collègues avec qui on avait fait une association déclarée formellement. C’est-à-dire qu’il y a eu une coordination nationale contre l’éradication du varon qui a été créée en mars 1996 à Moulins et qui a été dissoute en 2003 ou 2004, lorsque le dernier procès a été fini. Ensuite aujourd’hui on a en cours une association pour la FCO, et à chaque fois on fait la démarche : on propose notre analyse à ces associations, qui elles ont des facilités pour rentrer en contact avec les autorités ministérielles en particulier. Elles sont toujours restées timorées pour défendre la santé animale, timorées et quelques fois incapables de clairvoyance. Je pense par exemple à la revue Biodynamis, c’est la revue trimestrielle des biodynamistes. Il y a trois mois, un cornichon a fait un éditorial qui disait, peut-on éradiquer les parasites avec des plantes ? Ce type, il avait suivi depuis quinze ans toute notre réflexion et dans son éditorial, il demande : peut-on éradiquer ? Alors c’est plus subtil, il pose deux questions : il y en a une on répondrait non, et l’autre oui… mais comme on a qu’une réponse aux deux questions, on ne peut répondre que oui. Tout le monde a été piégé. C’est grave ! J’ai peut-être été le seul à répondre à ce gars. Lui, il dit, ah oui, c’est vrai… il m’a dit que j’ai raison, mais il n’a jamais corrigé dans le numéro suivant, en disant, on s’est loupé. On fait perdre à l’agriculture bio ses valeurs et on oriente le lecteur vers l’idéologie dominante. Parce que le mot éradication appartient à l’idéologie dominante ! C’est une idéologie. Alors pourquoi c’est une idéologie ? Moi je suis allé vers les travaux scientifiques. Il se trouve qu’au tribunal on a été défendu par deux scientifiques français. Il y en a un, il s’appelle Michel Bounias… malheureusement, il est décédé en 2003. Il était directeur de recherche à l’INRA, expert international, biomathématicien, toxicologue… C’était l’un des deux scientifiques qui est venu jusqu’au tribunal pour dire : oui ces gens ont raison, aujourd’hui il n’y a aucune raison scientifique pour éradiquer une espèce. Parce que c’est la biodiversité, la multitude d’espèces qui rend le système équilibré. Je vais vous raconter une petite anecdote. Il y a très longtemps je vais voir mon vétérinaire un samedi. Et ce vétérinaire il a une ferme, une grosse ferme. J’arrive le samedi après-midi, et je vais le voir en train de donner à manger à ses vaches. Et je lui dis, qu’est-ce que vous faîtes ? vous n’avez pas autre chose à faire ? Non, non je leur donne à manger. Pourquoi faîtes-vous ce boulot ? Il me répond, j’ai une âme d’esclave ! En fait il était fils de paysan, et ses qualités intellectuelles lui ont permis d’être vétérinaire. Mais ça m’a permis de mettre des mots sur ce qui est le centre de gravité de l’éleveur, c’est-à-dire qu’il est prêt à être au service de… au service de l’animal, et la contrainte ne le gêne plus. Parce qu’on sort d’une dimension technique, pour rentrer dans une dimension éthique et peut-être artistique. Et à la fois on est technicien mais aussi on veut faire quelque chose de bien. Et ce quelque chose de bien souvent, on l’accompagne, on est fier de faire quelque chose de beau. Alors ce sont des notions qui sont extrêmement subjectives mais c’est ce que j’ai extrêmement apprécié en découvrant Aurélie Choné, elle tente de réintroduire la subjectivité. C’est ce qu’a fait aussi Jocelyne Porchet. Cette notion de subjectivité. Si je peux me permettre d’exhorter les chercheurs, c’est vraiment cette voie qu’il faut creuser parce qu’on veut d’un autre côté nous réduire à des techniciens.