Enquête par corps I : Explorations – août 2017, mars 2018, août 2020

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Dans une approche holistique, nous déployons ici un mode d’enquête par corps potentiellement transformateur. Le premier texte, “Potentiels écocorporels”, développe l’aspect transformateur. Le texte “Par corps” explicite de manière théorique, méthodique et descriptive le processus des explorations par corps. “Imprégnation” évoque poétiquement des expériences menées selon des modalités proches.

Auteur : Edouard Termignon, Claire Revol et tous les participants au projet d'Explorations par corps. Photographie de Caroline Evrard

Par corps

Nous estimons avec Yannick Vanpoulle que « corps et monde sont non seulement interdépendants, mais en continuité, co-construits et énactés l’un par l’autre, le corps étant une chair du monde […)] de même que le monde est une chair du corps » (1). En relation avec une enquête située, nous pourrions dire également que nous nous trouvons en présence d’un entrelacement du « vivant-lieu ». Quand nous explorons un nouveau contexte, nous pouvons en déduire que nous explorons « notre corps nouveau ». Aussi, nous pensons que l’exploration par corps représente une des modalités de l’enquête de géographie.

1. Qu’est-ce qu’une exploration par corps dans le cadre d’une enquête de géographie ?

« J’explore un lieu nouveau, j’explore mon corps nouveau » : entrelacement du « vivant-lieu » (1).

Dans l’enquête de géographie, nous pensons que l’exploration par corps représente une des modalités.

L’exploration par corps implique une expérience sensible trans-subjective (2). Nous pourrions dire une exploration par corps « trans-sensible ».

Méthodologie d’une exploration par corps, dans le cadre d’une enquête de géographie :

Nous nous rendons sur le lieu de l’exploration. Nous venons l’habiter (3). Nous nous incorporons dans son atmosphérique i.e. ce qui baigne le lieu dans lequel nous sommes et dont nous faisons maintenant partie (4).

Au besoin, grâce à des pratiques intentionnelles (5), attentionnelles et corporelles, nous nous rendons davantage disponibles (ouvert-e-s) à :

  • notre sensibilité, au sens de réceptivité (notre aisthésis i.e. capacité à être sollicité par les impressions des sens), et particulièrement notre sensibilité interne aux organes des fonctions végétatives (intéroception);
  • l’émergence dans notre corps de sensations involontaires – émersion (6);
  • la porosité de la frontière corps-lieu (1) ;
  • l’atmosphérique du lieu avec toutes les personnes présentes, plus précisément, son champ trans-subjectif (notion élaborée à partir des termes « trans-subjectif » (2) et « champ commun », (7).

Puis, au moment de l’exploration proprement dite, notre intention (5) est d’être :

  • agi par ce qui émane du lieu ;
  • dans le don de soi (3).

Notre attention est reliée à ce qui peut surgir dans notre corps comme sensations involontaires – émersion (6).

– à la suite, sans échanger avec les autres, chacun-e individuellement fait le bilan de ce qui est advenu lors de cette exploration : sensations, sensations-images, émotions, pensées.

Chacun-e utilise le(s) médium(s) de son choix pour constituer des traces de ce bilan.

– dans la phase de restitution de groupe, nous partageons nos impressions et matières recueillies.

– la convergence des expériences personnelles vécues par les membres du groupe peut permettre des conjectures sur ce qui émane du lieu enquêté, habité par nos présences et intentions.


Notes :

1. Yannick Vanpoulle, Corps, conduite motrice et connaissance – Un paradigme phénoménologique holistique du corps en situation, Thèse préparée au sein de l’école doctorale Langages, temps, sociétés, Université Henri Poincaré – Nancy 2, p. 555 : « Ainsi, corps et monde sont non seulement interdépendants, mais en continuité, co-construits et énactés l’un par l’autre, le corps étant une chair du monde (…), de même que le monde est une chair du corps. »

2. José-Luis Moraguès, Psychologie de la performance – corps motionnel, corps pulsionnel, Montpellier, PULM, 2012, p. 187 : « On dira alors que la nature du lien dans le monde est trans-subjective et non inter-subjective, c’est un mode d’être « en » et « avec » le monde qui relève d’abord de l’expérience sensible. »

3. Frédérique Decocq, Psychologie phénoménologique de la réciprocité, Dynamique de l’être-ensemble pour la performation de l’agressivité humaine et sportive, Thèse préparée au sein de l’école doctorale 60 et de l’unité de recherche Epsylon, Université Paul-Valéry – Montpellier 3, 2015, p. 115 : « En fait, pour nous le don de soi consisterait à déplacer son centre (c’est-à-dire à ne pas se figer en tant que centre du monde) pour faire de l’Univers son noyau d’être afin d’habiter le monde commun (et non pas en tant qu’individu isolé du monde). Autrement que de se “nier soi-même”, il s’agirait de se défier soi-même, de se décentrer, c’est-à-dire s’éloigner de l’illusion de croire en la possibilité d’une réalisation de soi au détriment du monde afin d’ouvrir son horizon par delà le monde, vers l’Univers. »

4. Hubertus Tellenbach, Goût et atmosphère, Paris, PUF, 1983, p. 40 : « Dans presque toute expérience de nos sens se trouve un plus qui reste inexprimé. Ce plus qui dépasse le fait réél mais que nous sentons en même temps que lui, nous pouvons le nommer atmosphérique.

Fréderique Decocq,  op. cit., p. 69 en note de bas de page : « L’atmosphérique peut se traduire par le climat, les circonstances ambiantes qui seront le substrat d’une intuition portant sur les relations interpersonnelles et environnementales en présence. »

5. Yannick Vanpoulle, op. cit.p. 557 : « La causalité est tout entière dans l’intention comme mouvement vers un horizon (…). Du point de vue de l’homme, elle est tout entière dans les différents niveaux du soi comme processus en constitution s’étendant au-delà du corps au monde. Elle est donc aussi tout entière dans les processus d’incarnation des chairs du monde en la chair du corps. Elle est in fine dans les processus en situation, dans le procès de la situation lui-même, à la fois dans le monde comme matrice situationnelle et dans le corps comme situation du monde et co-énaction du monde. »

6. Bernard Andrieu, Nicolas Burel, La communication directe du corps vivant. Une Émeriologie en première personne, C.N.R.S. Editions, « Hermès, La Revue », 2014/1 – n°68, p. 48 : « L’émersiologie est une science réflexive née de l’émergence des sensibles vivants dans la conscience du corps vécu. L’émersion est le mouvement involontaire dans notre corps des réseaux, humeurs et images dont notre conscience ne connaît que la partie émergée. Le corps vivant produit des sensibles par son écologisation avec le monde et avec les autres. »7. Romano Scandariatto, Entre le dedans et le dehors : un champ commun, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2010/2 – n°45, p. 117 : « dans le même temps que le thérapeute participe aux interactions, il accueille en lui les éléments du champ commun et les élabore (…). »