Depuis 10 000 ans, les paysans des terres d’Europe ont construit des véhicules de pierre pour aller dans le ciel.
En France, 50 000 prototypes de fusées ont été construits dans les villages pour abriter les républiques paysannes sous le signe du premier astronaute crucifié à la pesanteur. 50 000 prototypes, tous différents, ont été construits partout dans les campagnes pour y ouvrir le ciel. Et ces prototypes couverts de couleurs et de figures faisant signe vers les terres communes du cosmos, ont voulu être sans étages, pour tous et pour personne.
Ces fusées ne visaient pas la rédemption parce que rien ne sauvera jamais personne dans ce ciel sans fin. Ces fusées célébraient l’espace libre et profond les appelant vers l’Ouvert. Aujourd’hui ces fusées d’hier attendent encore le temps où, elles pourront quitter la terre. Toutes ces fusées de laves et de corps pétrifiés accumulés au cours des éons passés, désirent s’élever librement dans les airs et bourgeonner pour, comme les plantes, animer le grand ciel minéral tout au long de leur patient acheminement dans les gouffres sans fond du cosmos. C’est à cette tâche infinie que nous voulons ici nous consacrer. Le temps est venu aujourd’hui pour nous autres, astronautes d’un territoire perdu du fond du Bourbonnais, de former ensemble le moteur de notre véhicule spatial. Car c’est d’ici que nous partirons.
C’est sans doute une gageure de mener un programme de recherche spatiale dans la diagonale du vide, au milieu des terres pauvres et dépeuplées du Bourbonnais. Mais l’astronautique ne doit pas être le monopole des États, des armées et des groupes industriels. Elle ne doit pas non plus être le monopole des techniciens ni des scientifiques. L’histoire est affaire de bricolage et de poésie, et l’histoire de l’astronautique n’y échappe pas. C’est pourquoi l’astronautique est promise à devenir républicaine, toutes les républiques n’étant jamais que des bricolages, des expérimentations dans un temps dont on ne sait rien.
L’astronautique doit reprendre aux citadelles du pouvoir sa capacité d’agir et attacher sur les flancs de ses fusées la devise “liberté, égalité, fraternité“.
Les républiques de l’espace feront de cette devise le moteur même de l’aventure spatiale. Car la pensée libre est promise au ciel. Elle est en apesanteur et capte l’action des sphères avant de redescendre dans les expériences existentielles du penseur éveillé. La fraternité édifie dans la chaleur d’un rève partagé, l’imagination du futur. Et les égaux expérimentent l’accès de tous aux étoiles.
Ces nouvelles républiques cosmiques s’instaurent jusqu’au fond des forêts, sur les mers, dans les montagnes et dans les champs. C »est pourquoi nous imaginons aussi une astronautique paysanne, ici et maintenant, dans le territoire où nous sommes.
une astronautique paysanne
Depuis des millénaires, les paysans voyagent dans le cosmos sur place. Le ciel tourne autour de la Terre. Les constellations, les planètes, les comètes pénètrent de leur présence le sol, les arbres et les eaux. On peut entendre leur mouvement tout autour qui façonne les formes et les êtres. Mais les arbres ne veulent pas seulement recevoir le ciel. Ils sont attirés par le soleil et s’élèvent pour partir dans l’espace. Les animaux qui courent, qui rampent et qui volent ont déjà arraché leurs racines. Et les humains ont quitté le berceau terrestre. Comme s’il n’advenait rien des êtres qui demeurent sur Terre parce que l’espace les appellent pour parfaire leur éducation.
Les paysans sont déstinés à moissonner le ciel. Les êtres élémentaires préparent déjà la Lune pour y planter des blés. Les fusées se préparent dans les granges, gonflées de moteurs tournant à la force du coeur pour quitter l’attraction terrestre.
Dans le Bourbonnais, la recherche spatiale se construit lentement. Des paysans ramassent les météorites pour dynamiser les terres affaiblies. Les sections pédagogiques préparent activement les nouvelles générations à habiter ce ciel qui façonne nos maisons, nos vaches, nos prés et forêts. Ce ciel qui vient là, nous allons y aller. Parce qui a longtemps descendu veut à présent remonter dans la grande noria cosmique transportant les lumières de terres en terres et d’étoiles en étoiles.
Programme préparatoire à la recherche spatiale locale
Le XIXe siècle a inventé la Lune lointaine, étrangère à la vie des Terriens. Et une Lune vide et morte dans un ciel désert juste au dessus de nous. Kant, Herschel, d’Alembert avait pourtant peuplé la Lune de forêts et de villes et c’est sans doute leurs rèves qui se réaliseront au cours du XXIe siècle.
Mais la Lune n’est pas seulement celle vers laquelle on va. C’est aussi celle dans laquelle nous sommes. Cette Lune nous y entrons chaque nuit. Sa présence pleine et habitée même quand elle est invisible ou occultée, n’est ni étrangère ni lointaine. Nous sentons son éclat. Les voyages spatiaux qu’on bricole soi-même commencent par ces rèves au cours desquels on peut quitter la Terre et visiter les autres sphères. La zone de lancement prend racine dans un imaginaire partagé. C’est depuis ce lieu qu’émergent les laboratoires où s’expérimentent la future vie cosmique, et les ateliers de recherche pour les machines morales de demain. Des savoirs nouveaux y sont explorés patiemment pour concevoir et réaliser les lanceurs élémentaux, y inclure des habitacles enveloppés par les fées.